Les Animaux Fantastiques
Tome 1


Chapitre vingt-quatre

  La journée touchait déjà à sa fin et le soleil descendait lentement dans le ciel. On pouvait déjà apercevoir la lune et quelques étoiles qui brillaient suffisamment pour être visibles à une heure si peu tardive.

  Aysha se trouvait assise au bord du lac depuis qu'elle avait quitté Dumbledore. Elle ne s'était même pas rendue au rendez-vous que ce dernier avait donné dans son bureau une heure auparavant.

  Son esprit était trop préoccupé pour qu'elle puisse se concentrer sur une lecture, alors, elle écrivait. Elle écrivait tout ce qui lui passait par la tête. Jamais elle ne s'était sentie aussi proche de sa mère, écrivant au bord du lac que l'auteure affectionnait tant, près de l'école où elle avait passé sa scolarité, alors que le crépuscule arrivait, le moment de la journée que Sarah Davies préférait.

  Il fallut quelques heures encore pour qu'on vienne la déranger.

  Revenant tout juste du dîner où elle n'avait pas trouvé sa jeune sœur, Helena sortit du château, se retrouvant bien vite dans l'obscurité de la nuit. Elle s'avança vers le lac et ne tarda pas à repérer sa benjamine. Sans un bruit et sans presser le pas, elle la rejoignit et s'assit à ses côtés. Aysha ne lui adressa pas un regard, mais s'arrêta d'écrire et roula son parchemin afin de le ranger dans son manteau. Elles restèrent silencieuses de longues minutes, regardant le lac et les reflets qu'il offrait. Les étoiles donnaient l'impression qu'un autre ciel s'étendait à leurs pieds.

  Finalement, Aysha daigna se tourner vers son aînée dont le regard était perdu dans le vide. Son visage, éclairé par la lune, était empreint d'une tristesse que l'Occlumens ne connaissait que trop bien.

  La jeune sorcière passa de longues minutes à se contenter d'observer sa sœur. Elle se fit alors la remarque qu'elle devait avoir le même nez que leur père et elle se souvenait avoir vu les mêmes épais sourcils chez leur mère. Elle sentit son cœur se serrer à la pensée de leurs défunts parents.

  Elle se détacha de sa contemplation et baissa la tête, se retrouvant à fixer ses mains. Elle se fit alors la remarque que sa peau mate l'éloignait grandement de la peau claire de ses sœurs et de ses parents.

  — Une cérémonie en l'honneur d'April aura lieu demain.

  Cette annonce la sortit de ses pensées et elle se tourna de nouveau vers son aînée qui la regardait, semblant vouloir scruter sa réaction.

  — Déjà ? s'étonna-t-elle, la gorge serrée. Elle n'est...

  Elle s'arrêta, ferma les yeux, prit une grande inspiration et expira lentement avant de reprendre :

  — Elle n'est morte qu'aujourd'hui.

  Elle n'arrivait pas à croire qu'elle avait dit une telle chose. Ces mots douloureux lui semblaient être un mensonge.

  — Aysha, murmura Helena en lui adressant un sourire compatissant. Viens.

  Elle ouvrit ses bras et lui fit signe de s'approcher. L'Occlumens hésita un instant, mais se tourna finalement vers son aînée afin qu'elles se serrent dans les bras. Elles restèrent ainsi un long moment. Helena passa une main dans la chevelure blonde de sa sœur et ne put s'empêcher de remarquer qu'elle sentait la rose. C'était si léger qu'il était facile de passer à côté.

  Ce fut Aysha qui se détacha la première. Elle lui adressa un sourire et s'allongea. Elle fixa un instant les étoiles, tandis que sa sœur l'imitait, et, d'une voix faible, demanda :

  — Te souviens-tu de nos parents ?

  Helena parut surprise d'une telle question. Depuis toujours, les trois sœurs évitaient au maximum la mention de leurs parents. Ce n'était pas un accord entre elles. Elles ne s'étaient jamais dit clairement qu'elles devaient parler le moins souvent possible des deux personnes qui les avaient mises au monde. Il semblait qu'elles avaient conclu un marché inconscient. Et aujourd'hui, Aysha le brisait. Elle ne lui en voulait pas. Malgré la peine que lui infligeait leur absence, elle savait qu'Aysha, sa petite sœur, aurait besoin de réponses un jour ou l'autre. Ce fut donc le cœur lourd qu'elle les lui apporta :

  — J'avais deux ans lorsqu'ils sont morts. Je ne me souviens que très peu d'eux. Il m'arrive parfois d'entendre le rire de notre mère.

  Un large sourire étirait ses lèvres en même temps que des larmes emplissaient ses yeux, transformant les points lumineux qu'étaient les étoiles en des traits flous.

  — Comment était-il ? l'interrogea sa benjamine en se tournant sur le côté de façon à voir sa sœur. Son rire.

  Helena l'imita, les deux sorcières se retrouvant face à face, et elle décrivit, l'air pensif :

  — Il était... léger. Comme si le vent pouvait le porter aux oreilles de quiconque voulait entendre de la joie. Il était doux aussi. Il fallait tendre l'oreille pour l'entendre.

  La jeune femme émit un faible rire qui fit sourire Aysha avant de reprendre :

  — Notre père... Je crois me souvenir qu'il sentait toujours le...

  — Le café, l'interrompit l'ancienne Serdaigle. Notre mère l'avait indiqué au dos d'une photo.

  Cette annonce étonna Helena, car elle l'ignorait. Elles s'arrêtèrent de parler et s'observèrent longuement, comme si elles pouvaient lire la peine l'une de l'autre.

  Soudainement, une question émergea dans l'esprit d'Helena. Elle se sentit mal de s'interroger sur ce point, mais elle avait besoin de savoir. Alors, hésitante, elle demanda :

  — Que ressens-tu envers Emy ?

  Cela surprit Aysha qui ouvrit la bouche sans savoir quoi répondre. Elle hésitait à dire la vérité, mais elle avait conscience que ce n'était pas de nobles pensées.

  — Sois sincère, l'encouragea son aînée. N'ai pas peur de ce que tu peux penser. Exprime-toi. Même si tu trouves cela injuste.

  L'Occlumens continua de regarder sa sœur sans un mot durant quelques secondes avant de lui accorder une réponse :

  — Je la déteste - je la hais - de tout mon être. Je ne ressens aucune once de bons sentiments envers elle. Même si elle est notre sœur, je ne l'ai jamais vue comme telle. Les liens du sang ne sont pas les seuls à définir une vraie famille.

  Touchée par ces mots, Helena posa sa main sur la joue de sa benjamine et la lui caressa en lui adressant un sourire réconfortant.

  — Ne suis-je pas censée lui accorder ne serait-ce qu'un peu de respect ? l'interrogea la jeune femme. N'est-ce pas dans la nature de l'être humain que d'aimer sans raison une personne de notre sang ? Tout comme une mère aime son enfant et un enfant aime sa mère.

  — Ce n'est pas une certitude, murmura son aînée pour la rassurer. Emy n'a jamais agi comme une sœur pour toi.

  — Mais pourquoi ? Qu'ai-je fait pour qu'elle me déteste à ce point ?

  Helena ne répondit pas tout de suite, retirant sa main de la joue de sa benjamine. Elle connaissait la réponse. Emy le lui avait bien fait comprendre. Cependant, elle ignorait s'il était nécessaire qu'Aysha le sache. Elle savait à quel point il était difficile de vivre avec des questions auxquelles nous n'avons pas de réponse. Cependant, elle avait aussi conscience que cette réponse pourrait faire plus de mal que de bien.

  — Tu le sais, comprit Aysha, la sortant de ses songes. Il y a bien une raison et tu la connais.

  La jeune femme trouva surprenant que l'Occlumens garde un ton si posé. Elle hocha la tête. Elle ne pouvait pas lui mentir.

  — Quelle est telle ? la questionna-t-elle.

  — Je ne suis pas sûre... hésita Helena en se remettant sur le dos.

  — Helena, l'interrompit sa benjamine en se redressant pour garder un contact visuel avec elle, j'ai besoin de savoir. Je surmonterai ça. J'ai vu bien pire.

  L'Auror fixa sa sœur longuement. Son visage transpirait la souffrance, la peine, le désespoir. Elle ne l'avait jamais vue retirer son masque à ce point. Tout semblait pouvoir se lire dans ses yeux, sur ses lèvres... Elle paraissait pâle. Trop pâle.

  Dans un soupir, Helena détacha son regard de sa sœur et murmura enfin :

  — Elle te croit responsable de la mort de nos parents.

  Elle n'eut pas besoin de le voir pour savoir que cette annonce venait de fissurer un peu plus l'âme d'Aysha. Cette dernière sentit quelque chose la quitter. Ce dernier espoir.

  Elle s'était de nombreuses fois questionnée sur la mort de leurs parents, rejetant sans cesse l'idée qu'elle puisse être responsable. C'était tout ce qu'il lui restait. Cet espoir de ne jamais avoir fait de mal à ceux l'ayant mise au monde. À ceux qui les auraient élevées de manière à ce qu'elle ne soit pas ce qu'elle était devenue. Avait-elle été responsable de leur mort ? Avait-elle retiré à trois enfants leur mère et leur père ?

  Aysha avait toujours ignoré comment ils avaient cédé au trépas. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle était la seule personne présente ayant survécu.

  — Dis-moi comment ils sont morts, supplia d'une voix faible Aysha. Je t'en prie.

  Helena se tourna de nouveau vers sa benjamine, les yeux emplis de larmes. Elle laissa le silence envahir ces quelques secondes qui s'écoulèrent.

  Elle se redressa, dirigeant son regard de nouveau vers le lac. Le cœur serré, elle expliqua :

  — On a retrouvé le corps de nos parents dans ta chambre, près du berceau où tu dormais.

  Elle marqua une pause, consciente que le choix de chacun de ses mots avait son importance.

  — Il n'y avait rien. Aucune trace de combat. Aucune trace de violence. Rien... sauf toi... et une lettre. Je n'ai eu accès à cette lettre que très récemment. Elle est gardée au Ministère, car l'enquête n'est pas terminée. Et leur seul suspect... c'est toi...

  — Ça n'a aucun sens ! s'exclama Aysha. Je n'avais que quelques jours ! Comment aurais-je pu les tuer ?

  — C'est exactement la raison pour laquelle ils ne t'ont jamais vraiment soupçonnée. Ils te gardent à l'œil, mais ils ne croient pas que tu sois coupable.

  — Sauf Emy...

  — Emy a lu la lettre. Elle l'a lue grâce à Elizabeth et John alors qu'elle n'avait que huit ans.

  — Que disait cette lettre ? Qui l'avait écrite ?

  Helena se tourna vers sa sœur et, du bout des lèvres, elle lui répondit :

  — C'était toi. C'était toi qui avait écrit la lettre. Ou, du moins, une version future de toi.

  La révélation provoqua un tel choc qu'Aysha dut se lever. Elle recula d'un pas. Il lui devenait difficile de respirer. Ça n'avait aucun sens. Elle ferma fortement les yeux et mit une pression sur ses tempes. Elle ne vit pas son aînée se lever pour la rejoindre.

  — Aysha, murmura-t-elle. Regarde-moi.

  Mais l'Occlumens ne semblait plus rien contrôler. Son cœur battait si vite qu'elle avait l'impression qu'il allait exploser. Helena l'attrapa avec force. Elle la serra dans ses bras. Il fallait qu'elle sente sa présence. Qu'elle comprenne qu'elle ne l'abandonnerait pas. Il s'écoula un temps considérable durant lequel Aysha luttait pour se calmer, tandis que son aînée la berçait.

  Soudainement, l'Occlumens s'arrêta. Elle ouvrit les yeux, sa respiration et son cœur s'étant calmés. Mais ce qu'elle vit ne la rassurait pas.

  C'était Leta et non Helena qui la serrait dans ses bras. Elle se détacha et recula de quelques pas, fixant sa défunte amie. Elle la vit sourire et l'entendit dire :

  — Ça va aller, Aysha. Tu es une bonne personne.

  Elle cligna des yeux. Sa vision devenait floue. Était-elle définitivement devenue folle ?

  — Je ne t'ai jamais abandonnée, continuait Leta. Je t'ai toujours aimée. Je regrette d'avoir si mal agi avec toi.

  Aysha sentit ses jambes se dérober. Elle se laissa tomber, ne cherchant pas à se rattraper. Quelqu'un le fit à sa place.

  — Aysha !

  Ce n'était plus la voix de Leta. C'était Helena. Elle ouvrit les yeux et fut rassurée de la voir accroupie devant elle, les larmes aux yeux.

  L'Occlumens se redressa pour s'asseoir, serrant ses jambes contre sa poitrine. Helena s'assit à côté d'elle et passa une main dans son dos.

  — Écoute ce que je vais te dire, Aysha. C'est important.

  Lentement, la jeune femme tourna la tête vers son aînée qui continua :

  — Si cette lettre est vraie, tout ce qu'on y apprend nous indique que les raisons qui t'auraient poussée à les tuer sont incroyablement nobles et que toi, ton futur toi, était tout aussi noble. Si la lettre est fausse, alors tout cela ne t'incrimine en aucun cas. Je ne suis pas autorisée à te parler de ce que cette lettre contient précisément. Un jour, on t'autorisera peut-être à la lire. En attendant, sache que je ne t'en veux pas. Tu n'es pas responsable. Et le Ministère le sait bien. Ils t'ont fait quitter tes écoles à quatre reprises afin de te préserver, jusqu'à ce que Dumbledore en personne propose de garder un œil sur toi.

  — Il était au courant ? réalisa Aysha, avec l'étrange sentiment d'avoir été trahie.

  — Plus ou moins. Il ne savait pas tout. Mais...

  Elle s'arrêta, car sa benjamine avait détourné la tête, son regard trahissant sa peine. Elle fronçait les sourcils, se retenant de pleurer, et secouait la tête.

  — Je suis désolée, Aysha, murmura finalement Helena en tentant de la faire la regarder. Tout ça est si... si...

  — Douloureux ? compléta l'Occlumens en se tournant de nouveau vers elle, le visage empreint d'une tristesse infinie mélangée à de la colère. Destructeur ? Il y a un tas de mots qui pourraient toucher du bout du doigt ce que... tout ça... me fait.

  — Aysha...

  — Non, je t'en prie. N'essaie pas de me consoler. J'en ai assez. J'en ai assez de... de toujours me montrer faible. Je n'ai jamais eu besoin de personne pour m'aider. Mais depuis Ste Mangouste... j'ai juste l'impression de n'être plus rien.

  Ce fut les larmes d'Helena qui se décrochèrent de ses yeux et elle attrapa sa benjamine. Tout en lui caressant le dos, elle lui répétait :

  — Je t'aime. Tu es ma sœur. Tu es tout pour moi.

  Mais ces mots ne semblèrent rien faire à l'Occlumens qui se débarrassa de ses larmes en un instant, retrouvant un visage impassible. Elle se détacha de son aînée et se leva. Ce fut alors qu'Helena vit qui s'était approché.

  — Thésée, marmonna Aysha, lui tournant le dos.

  Le regard du jeune homme passa brièvement sur l'Auror, toujours à terre, avant de revenir se poser sur l'Occlumens.

  — Je suppose que vous demander si tout va bien serait idiot.

  — Tu supposes bien, répondit la jeune femme en se tournant enfin vers lui.

  Ils se regardèrent un instant avant qu'Aysha ne décide de s'éloigner. Mais à peine eut-elle fait quelques pas que Thésée murmura :

  — Leta tenait à ce que tu saches qu'elle ne s'est jamais sentie aussi mal que de t'avoir envoyée à Ste Mangouste. Elle t'aimait.

  — Je sais.

  Ce fut la seule réponse que Thésée put obtenir. Un silence s'installa alors. Helena, toujours à terre, regarda un à un ses deux collègues avant de se lever, n'attirant visiblement pas leur attention.

  Finalement, Aysha se tourna vers Thésée et lui révéla :

  — Quand j'ai appris que Leta était morte, j'ai réalisé à quel point nous avions mal agi l'une envers l'autre. Je partageais avec elle une relation fusionnelle à laquelle je n'avais jamais eu le droit avant. J'ai tout gâché et elle n'a rien arrangé. Mais une part d'elle est toujours en moi. J'ai dit l'avoir perdue avant sa mort. Mais... je crois que c'était un mensonge. Car, malgré tout le mal que l'on s'est fait, elle est toujours en moi. Elle est toujours là.

  Des larmes avaient rempli les yeux du jeune homme tant il se sentait triste et déchiré. Aysha s'approcha de lui et posa une main sur le cœur du sorcier. De son autre main, elle attrapa celle de Thésée et lui fit faire la même chose avec le sien.

  — La douleur d'une perte s'adoucit lorsqu'on comprend qu'on ne les a pas totalement perdus.

  — Parfois, j'ai l'impression que... ce serait plus simple si... je... si j'ou...

  — Si tu oubliais ?

  Thésée hocha lentement la tête.

  — La question est donc évidente. Préfères-tu vivre triste avec le souvenir de ce que fut ta vie avec Leta ? Ou préfères-tu vivre sans jamais avoir ressenti cet amour ?

  — Qui te dit que je n'ai jamais ressenti d'amour pour une autre personne que Leta ?

  Aysha aurait voulu répondre, mais aucun mot ne sortit. Ils se regardèrent alors intensément avant qu'Aysha ne recule et ne se retourne pour s'éloigner, lui adressant une dernière phrase :

  — L'amour est une malédiction que je refuserais si j'en avais la force.

Louise Garénaux - Auteure passionnée
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