Les Animaux Fantastiques
Tome 1


Chapitre seize

  L'altercation entre Manuela et Aysha conduisit au départ précipité du groupe d'amis, malgré les efforts de Thésée pour détendre l'atmosphère. Tina et Queenie s'étaient même occupées de Manuela que la stupéfixion n'avait épargnée que quelques effets secondaires, mais ils s'étaient tous retrouvés dans les rues, avec leurs affaires, le soir même. Jacob, Norbert, Queenie et Tina étaient allés trouver des places sur le prochain bateau, tandis qu'April avait prévenu Dumbledore de leur départ prochain et Thésée, Helena et Aysha étaient plongés dans leurs pensées.

  Lorsque Tina, sa sœur, Jacob et le magizoologiste revinrent, ils apprirent à leurs camarades qu'ils étaient parvenus à obtenir suffisamment de places pour le bateau qui partait le lendemain à l'aube. Ils passèrent donc la nuit dans un coin tranquille, guettant tout signe d'anormalité. Personne ne ferma l'œil, chuchotant entre eux, regardant les étoiles ou se laissant tout simplement bercer par leurs pensées. Norbert et Tina étaient assis, face à eux Queenie et Jacob, et tous quatre regardaient silencieusement le ciel. Plus loin, Helena, April et Aysha murmuraient entre elles toute sorte de choses futiles. Seul dans son coin, Thésée, lui, était perdu dans ses pensées, fixant inconsciemment l'Occlumens.

  Le lendemain, ils partirent tous vers le port dans un silence pesant. L'aîné des Dragonneau marchait seul, bien derrière les autres. Norbert ne put le remarquer que lorsqu'Aysha et Tina se mirent à discuter, apprenant à mieux se connaître. Il rejoignit rapidement son frère et lui demanda :

  — Qu'est-ce qui ne va pas ?

  L'Auror tourna la tête vers son benjamin et se contenta de murmurer :

  — Comment va Aysha ?

  — Pourquoi ne le lui demandes-tu pas toi-même ?

  — Ne pose pas de question, je t'en prie.

  Norbert hocha la tête, conscient qu'il ne valait mieux pas le brusquer, et lui apporta une réponse :

  — Elle fait de son mieux.

  — Dis-moi que je ne l'ai pas blessée plus que je ne l'ai déjà fait.

  — Tu sais bien que je ne peux dire une telle chose.

  Thésée baissa la tête, le cœur serré. Il n'avait jamais voulu lui faire du mal, mais il semblait qu'il le faisait inconsciemment.

  — Leta me manque, dit-il subitement, sûrement pour lui-même.

  — Je sais.

  Les deux frères restèrent silencieux tout le reste du trajet et ils rejoignirent leur groupe en arrivant sur le bateau où Tina expliquait :

  — Nous avons trois cabines pour deux personnes et deux pour une. C'était tout ce qu'il restait.

  — J'en prends une pour une personne ! hurla April en attrapant la clé.

  — Très bien. Les autres ?

  Finalement, ils s'organisèrent, Thésée partageant sa cabine avec Norbert, Queenie avec Tina, Helena avec Aysha et Jacob prit, lui aussi, une cabine seul. Ils ne tardèrent d'ailleurs pas à les rejoindre et la plupart trouvèrent le sommeil en un rien de temps.

  Helena s'assit sur son lit, fixant le vide. Tandis qu'Aysha redescendait de son perchoir après avoir rangé sa valise, la jeune femme murmura soudainement :

  — Comment Emy peut-elle être d'accord avec la barbarie de ce fou ?

  Surprise, l'Occlumens se tourna vers sa sœur et s'assit face à elle. Ne sachant quoi répondre, elle changea de sujet :

  — Norbert et Tina sont enfin ensemble.

  Helena leva alors la tête, lui adressa un timide sourire qui laissait encore transparaître sa peine avant de lui avouer :

  — Je l'avais compris. Il était temps.

  Un silence s'abattit sur les deux sœurs qui replongeaient dans leurs pensées. Elles restèrent ainsi, immobiles, de longues minutes, avant qu'Aysha ne se lève et attrape le livre qu'elle avait posé sur le bout de son lit. Lorsqu'elle se retourna de nouveau vers sa sœur, elle demanda à voix basse :

  — Pourquoi personne ne parle de ce qu'il s'est passé ce matin ? À croire que vous avez déjà oublié...

  La question sembla surprendre la jeune femme qui réfléchit un instant avant de répondre :

  — Pourquoi voudrais-tu qu'on en parle ?

  — Ce n'est pas ce que je veux. C'est juste que je cherche à comprendre pourquoi vous ne me jugez pas...

  — Te juger ? s'étonna Helena, l'interrompant. Personne ne va te juger pour ça, Aysha. Tu n'y es pour rien.

  — Et si je l'avais tuée ? Aurais-je été vue comme coupable du meurtre pour lequel je n'en serais pas responsable ?

  — La question ne se pose pas, car tu ne l'as pas tuée.

  — J'aurais pu, admit l'ancienne Serdaigle. Si l'idée m'avait effleuré l'esprit avant qu'April ne m'arrête, je l'aurais tuée. C'est la réalité, Helena.

  L'aîné ne put répondre. Elle savait qu'elle disait la vérité. Elle savait qu'à tout moment sa petite sœur pouvait devenir une meurtrière. Une part d'elle préférait ne pas y croire, lui laissait une chance, mais c'était indéniable.

  — Tu sais, reprit Aysha en fixant le sol et posant le livre sur son lit derrière elle, même si je ne le montre pas, je suis effrayée.

  Helena leva la tête vers sa benjamine, l'encourageant à continuer.

  — Je suis effrayée à l'idée de perdre de nouveau le contrôle et de faire quelque chose pour lequel je ne pourrais jamais me pardonner. Encore. Si c'était l'un de nous que je tuais ? Si je devenais la responsable de la mort de l'un d'entre vous, quel regard poserais-tu sur moi ?

  — Aysha...

  — Ne me mens pas, Helena, je t'en prie. Tu es une personne extraordinaire, bienveillante, courageuse et sage. Tu es parfaite aux yeux de beaucoup. Parfaite aux miens. Mais que penserais-tu de moi si je devenais une meurtrière ? Ta bonté t'empêchera de me pardonner. L'amour que tu sembles étonnement me porter ne suffira plus. Que te dirait ton cœur ? Pourrais-tu abandonner ce que tu es - cette personne incroyable - pour moi ?

  — Tu es ma sœur. Si le feu qui te consume finit par te brûler les ailes, j'embraserais les miennes.

  — Mais pourquoi ? Être sœurs ne peut pas te pousser à te sacrifier. Pourquoi m'accordes-tu autant d'importance ?

  — Mais parce que je t'aime, par Merlin ! hurla l'Auror, les larmes aux yeux. Aysha, je sais que tu n'y crois pas, mais, je t'en prie, regarde-moi dans les yeux et ose me dire que je mens !

  Elles échangèrent un long et intense regard, humide, mais qui, pourtant, était habité d'une flamme flamboyante.

  — Cesse donc de m'aimer, la supplia Aysha. Je vais te détruire.

  — Ne me demande pas une telle chose ! J'en suis bien incapable. Détruis le monde, brise-moi, brûle nos rêves... Peu importe ce que tu feras, je ne cesserai de t'aimer !

  — Mais pourquoi ?! Qu'ai-je fait pour que tu m'accordes cet amour ?

  — Aysha, l'amour ne s'explique pas.

  — Malheureusement, je le sais... marmonna l'Occlumens en s'asseyant.

  Helena ne releva pas les propos de sa sœur et reprit :

  — Tu ne sembles pas vouloir y croire et j'en ignore la raison. Je ne comprends pas pourquoi tu ne veux pas croire en la possibilité que quelqu'un t'aime, mais je serais prête à te le répéter jusqu'à ce que tu en sois persuadée.

  Aysha ferma les yeux, des larmes roulant sur ses joues. Elle se cacha rapidement le visage avec ses mains. Helena se leva alors et prit la jeune femme dans ses bras, après s'être assise à sa gauche. Passant sa main dans la chevelure blonde de sa benjamine, la berçant légèrement, elle murmura :

  — Je suis là. Maintenant et pour toujours. 'Sha...

  Elles restèrent ainsi de longues minutes, chacune écoutant les battements de cœur de l'autre. Ces derniers semblèrent s'accorder et, pour la première fois, Aysha accepta qu'on éprouve de l'amour pour elle. Pour la première fois, elle sentait de la sincérité dans ces mots, déjà prononcés trop rarement.

  Il sembla alors que de nombreux souvenirs de leur enfance remontèrent à la surface. L'un d'entre eux particulièrement s'accrocha aux pensées des deux sœurs, comme si leurs esprits étaient connectés.


  C'était un jour de l'été 1908, les vacances scolaires venaient de débuter et l'atmosphère dans la petite maison de la banlieue de Paris s'était adoucie depuis que les deux sœurs aînées de la fratrie étaient revenues de Beauxbâtons.

  En ce début d'après-midi, la cadette des trois sœurs, qui habitaient cette modeste demeure, avait profité de l'absence exceptionnelle de ses parents pour sortir dans le dos de son aînée. C'était dans un parc qu'elle avait retrouvé un jeune garçon de son âge.

  La plus âgée, quant à elle, avait été si occupée à chercher la benjamine, qui avait elle aussi disparu, qu'elle n'avait pas remarqué le départ de son autre sœur.

  Ce ne fut qu'après plus d'une heure de recherches qu'Helena trouva la jeune Aysha, âgée alors de onze ans, dans le jardin de la maison abandonnée de leur rue. C'était un de leurs voisins qui lui avait signalé la présence de la jeune enfant dans la jungle qu'était devenu le jardin par le manque d'entretien.

  Lorsqu'elle la vit de ses propres yeux, elle fut surprise de constater que l'enfant était allongée sur le ventre, semblant parler à quelque chose qu'Helena ne pouvait pas voir. S'approchant sans bruit, elle entendit bientôt la jeune Aysha murmurer :

  — Si tu as encore besoin de moi, reviens ici. Je te trouverai.

  La sorcière leva la main et caressa quelque chose - ou peut-être le vide. Étonnée, Helena l'observait sans un mot.

  Bientôt, deux yeux verts se posèrent sur l'adolescente.

  — Helena ?

  La voix était douce et ne semblait pas s'accorder au regard rempli d'une souffrance trop grande pour l'âge de l'enfant.

  — Qu'est-ce que tu fais là ? lui demanda Aysha en se levant.

  — Je te cherchais, répondit simplement son aînée.

  — Pourquoi donc ? Ils ne s'inquiètent pas de mon absence, eux. Je suis sûre qu'ils espèrent même que je ne revienne jamais.

  Les yeux bruns d'Helena scrutèrent le visage impassible de sa benjamine. Aucune de ses blessures ne pouvait s'y voir. Même ses yeux ne laissaient transparaître aucune souffrance. Mais Helena connaissait bien sa sœur. Elle voyait ce que l'apparence seule ne montrait pas.

  Doucement, elle s'approcha de la jeune fille qui resta immobile. Elle posa une main sur sa joue et s'abaissa pour que leurs visages soient à la même hauteur.

  — J'y suis presque, Aysha. Bientôt, on partira toutes les trois.

  — Tu ne peux pas comprendre, marmonna sa benjamine en se dégageant. Ils t'aiment. Ils te considèrent comme leur fille. Tu ne sais pas ce que ça fait d'être traitée comme une créature bizarre et dangereuse pour laquelle ils n'ont aucune considération.

  — Je sais, lui assura Helena en se redressant, le cœur lourd. Je sais que je ne peux pas comprendre. Et j'en suis navrée.

  — Arrête d'être désolée. Tu n'y es pour rien.

  — Si. Bien sûr que si que j'y suis pour quelque chose... J'ignore ce qu'on te fait subir. J'ignore à quel point tu souffres. Tout ce que je sais c'est qu'on m'a refusé plus de quinze fois l'autorisation de briser la tutelle et de m'occuper de vous, Emy et toi.

  — Tu n'as que treize ans, tu croyais sincèrement qu'ils allaient accepter ? railla Aysha d'un air moqueur.

  — Je voulais y croire. Juste y croire.

  — Y croire ne suffit pas, Helena. Nous ne sommes pas dans un conte où la foi et l'espoir permettent d'obtenir tout ce que nous voulons. Où tout se finit pour le mieux pour les gentils de l'histoire. On est dans la vie réelle. Gentils et méchants ne se distinguent pas d'une manière aussi manichéenne. Rien n'est tout noir ou tout blanc. Le monde est gris. Ça n'existe pas les "et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants". Nous devons nous battre pour obtenir ce que nous voulons, car aucune bonne fée ne va nous transformer en princesse, aucune lampe ne va nous offrir trois vœux. Tout ça, ça n'arrive que dans les histoires pour enfants.

  Helena ne répondit rien, toujours aussi peu habituée à la maturité des propos de celle qui était sa petite sœur.

  — J'ai aussi hâte d'aller à Beauxbâtons que je n'en ai aucune envie, admit l'enfant. Ça me permettrait de ne plus les avoir sur le dos, mais je n'ai aucune envie d'aller dans une école de magie.

  — Je serai là, tu sais. Si jamais tu as besoin d'aide, je serais - je suis - là. Tu n'as pas à avoir peur.

  — Qui t'as dit que j'avais peur ? Ce n'est pas un établissement scolaire qui va m'effrayer. Et, si tu y crois, c'est que tu as été épargnée de bien des dommages.

  Helena baissa la tête, ne sachant que répondre. Elle se sentait impuissante face à la souffrance de sa benjamine. N'était-ce pas son rôle de la protéger ? Même en n'étant âgée que de deux ans de plus, elle était responsable de sa santé, de son bien-être, de sa protection... Et elle avait l'impression de ne pas y parvenir, de ne pas être à la hauteur. Elle retint ses larmes. Ce n'était pas elle qui souffrait le plus. Elle n'avait pas le droit de pleurer. Pourtant, il y avait bien des choses pour lesquelles elle pourrait fondre en larmes. Mais... elle était la grande sœur. Elle était aimée. Il ne lui était pas permis de lâcher prise.

  — Je t'aime. 'Sha... murmura-t-elle soudainement.

  Rare étaient les fois où Aysha avait entendu ces mots et jamais elle n'avait eu un surnom qui ne se voulait pas moqueur. Elle fixa son aînée qui avait toujours la tête baissée avant de lui répondre à voix basse :

  — J'aimerais pouvoir y croire.

  Leurs pensées furent coupées par trois coups à la porte de leur cabine. Elles se séparèrent, mais Aysha n'eut pas le temps de sécher ses larmes avant que la porte ne s'ouvre sur Thésée. L'Auror vit Aysha, ou plus particulièrement ses larmes. Le cœur lourd, sans lâcher l'Occlumens du regard, il expliqua :

  — On a eu un message de Dumbledore.

  Ce fut tout ce qu'il dit, pourtant, il resta planté dans l'ouverture de la porte, ses yeux toujours posés sur la jeune femme. Helena regarda l'un après l'autre sa sœur et l'homme, semblant comprendre quelque chose, mais elle ne dit rien, n'osant même plus bouger.

  Aysha finit par lever la tête vers l'Auror, les joues toujours baignées de larmes, et leurs yeux se rencontrèrent. Tous deux soutinrent le regard de l'autre et, silencieusement, ils s'échangèrent tout ce qu'ils n'osaient se dire. Tristesse, colère, dégoût... Ils s'excusèrent sans un mot pour tout ce qu'ils s'étaient faits l'un à l'autre. Ce fut alors que Thésée mit un mot sur ce qui le brûlait de l'intérieur...

Louise Garénaux - Auteure passionnée
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