Les Animaux Fantastiques
Tome 2


Chapitre douze

  Helena tapait du pied, se mordait la lèvre inférieure pour qu'elle arrête de trembler, pour empêcher ses larmes de couler. Elle n'avait plus la force. Plus la force de continuer à se battre contre sa propre nature. Contre tous ses démons qui semblaient ne vouloir que le mal de ceux qu'elle aimait.

  Elle avait passé sa vie à toujours essayer de protéger ceux qui comptaient pour elle. À protéger Aysha d'Emy. De leurs tuteurs. De tous ces enfants qui la montraient de doigt parce qu'elle n'était pas comme eux. Parce que ses cheveux n'avaient pas de couleur fixe. Parce qu'elle passait son temps seule. Parce qu'elle préférait la compagnie de livres ou d'animaux plutôt que celle d'humains. Helena avait passé son temps à essayer de protéger Aysha d'elle-même.

  Mais c'était un échec. Elle n'avait jamais réussi à le faire.

  Aysha avait tué. Aysha avait été brisée, détruite, par sa faute. Aysha était devenue une meurtrière par sa faute. Et maintenant, elle était auprès du plus grand mage noir de leur temps pour retrouver sa meilleure amie décédée. La seule personne à ne jamais lui avoir fait de mal. April était l'unique personne sur cette Terre à avoir toujours traité sa benjamine comme un être humain qui n'avait rien d'anormal. April n'avait jamais cessé de la traiter comme si elle n'avait aucun problème. Elle ne prenait pas de pincette lorsqu'elle la taquinait. Elle ne la ménageait pas comme si elle était faible. Elle la laissait se débrouiller seule, car elle savait qu'elle pouvait s'en sortir. April était la seule à avoir sauvé Aysha. La seule à l'avoir maintenue en vie.

  Elle, alors qu'elle était son aînée et qu'il s'agissait de son rôle, n'avait fait que la détruire davantage en lui proposant des bras trop protecteurs pour lui permettre de vivre. En lui murmurant des paroles qui transpiraient le mensonge pour la protéger.

  Elle s'en voulait. Elle ne pourrait jamais se pardonner ce qu'elle avait fait à sa petite sœur. Cet être né dans le chaos. Cet être miraculeux. Cet être si incroyable dont ceux qui l'entouraient s'acharnaient à ternir la lumière. Helena faisait partie de ces derniers. Elle le savait. Et ça la rendait malade.

  — Je ne m'attendais pas à te trouver là.

  La voix de Dumbledore la sortit subitement de ses pensées. Elle s'écarta de la fenêtre devant laquelle elle s'était arrêtée, essuyant en vitesse les traces des larmes qui s'étaient échappées.

  — Parce que vous me cherchiez ? demanda la jeune femme sur un ton dur.

  Le professeur ne répondit pas, fronçant les sourcils et s'approchant de son ancienne élève. Cette dernière recula d'un pas, détournant le regard pour le poser aléatoirement sur un tableau.

  — Je ne sais pas ce qui te démanges, mais tu as le droit d'en parler, reprit l'homme.

  — Qui vous dit que quelque chose me démange ? l'interrogea Helena en le regardant de nouveau, haussant les sourcils.

  — Je le vois dans tes yeux. Je l'ai vu. Je ne m'attendais pas à voir tant de souffrance en tes yeux. Pas en ceux de la personne que j'ai toujours crue que tu étais.

  — Et qui croyiez-vous que j'étais ? railla la sorcière en secouant la tête, la gorge serrée.

  Le professeur ne répondit pas tout de suite. Il regarda longuement la jeune femme face à lui, le regard triste. Il posa ensuite ses yeux sur le sol, tandis qu'il lui accordait enfin une réponse :

  — Depuis que je t'ai vue arriver à Poudlard, tu as toujours été cette femme qui ne se laissait jamais atteindre. Tu étais cette personne qui aidait n'importe qui sans demander quoi que ce soit en retour. Cette femme qui donnait la dernière part de tarte à la citrouille alors qu'elle en voulait plus que tout. Cette personne qui ignorait les remarques méchantes des jaloux, car elle aimait plus que tout le bonheur des autres. Tu te fichais que certains te détestes, car tu ne cherchais pas à être aimée. Pourtant, tu donnais tant de joie que, même avec peu d'amis, beaucoup t'appréciais. Tu débordais d'une paix déconcertante alors que tu progressais dans un chaos total. Tu étais si différente de tes sœurs sur ce point. Je n'ai eu l'occasion de t'avoir comme élève qu'une seule année, et j'aurais aimé que cela soit plus. Tu mérites qu'on te connaisse.

  Il s'arrêta de parler. Helena le dévisagea, les sourcils froncés, les yeux embués.

  — Il faut croire que je suis moi aussi une bonne actrice, alors.

  — Je ne crois pas tant que ça. Je crois sincèrement que tu avais besoin de te nourrir de la joie et du bonheur de ceux qui t'entouraient. C'est pour ça que tu faisais tout pour leur en donner.

  — Vous décrivez une bonne personne. Ce que je ne suis visiblement pas.

  — Ce n'est pas pour quelques erreurs que tu es une mauvaise personne, Helena.

  — Pour quelques... ?

  Sa voix se brisa. Elle porta ses mains à sa tête, poussant un soupir et fermant les yeux. Elle bloqua sa respiration quelques secondes avant de prendre une grande inspiration et de continuer :

  — On est pas si différents tous les deux. En fait, on est les mêmes personnes. Et le fait de vous détester, m'oblige à me détester aussi.

  — Me détester ? s'étonna le professeur.

  — Oui. Je vous déteste pour ce que vous avez fait à ma sœur. Je vous déteste pour ce que vous m'avez fait faire à ma sœur. Je ne dis pas que tout est de votre faute. J'ai mal agi une grande partie de ma vie. Lorsqu'Aysha était petite, je n'ai jamais su la protéger convenablement. Je pensais y parvenir, mais je me trompais. Vous m'avez empêcher de parler de cette lettre à Aysha. Aujourd'hui, elle nous déteste tous les deux pour ça.

  — Tu sais qu'on ne pouvait pas.

  — Aysha est probablement une meilleure personne que nous deux, reprenait la sorcière, ignorant la remarque de Dumbledore. Elle a ses défauts, c'est vrai. Elle peut se montrer méchante et blessante. Elle n'est pas toujours animée par la bienveillance. C'est la vérité. Mais, malgré tout ça, elle a probablement plus de bonté que n'importe lequel d'entre nous.

  Le professeur la dévisagea.

  — Vous avez lu cette lettre, Dumbledore ! s'exclama Helena. Vous savez que cette Aysha qui l'a écrite était d'une bonté sans limite. Vous savez que c'est ce que notre Aysha est. Vous savez que l'ombre en elle est notre faute. Nous avons brisé son âme. Tout est de notre faute.

  Elle marqua une pause alors qu'Albus était suspendu à ses lèvres, la tristesse pouvant se lire dans ses yeux.

  — Je sais très bien pourquoi elle ne cesse de dire qu'elle se déteste et qu'elle est une mauvaise personne. Je l'ai compris depuis un moment. Depuis qu'elle a fondu en larmes dans mes bras. Depuis qu'elle pose ce regard sur elle-même dans la glace. Ce regard effrayé et dégoûté.

  Helena s'approcha de l'homme qui ne pouvait que la regarder déballer tout ce qu'elle avait sur le cœur.

  — Elle veut nous protéger d'elle-même. Elle veut qu'on finisse par la détester et penser qu'elle est une mauvaise personne. Elle veut qu'on la voit telle qu'elle se voit. Car elle est effrayée. Elle est effrayée par ce qu'elle pourrait nous faire. Effrayée par ce qu'elle est et pourrait devenir. Vous ne savez pas tout, professeur. Et vous ne méritez pas de tout savoir. Je suis dans la même position.

  Ils s'échangèrent un long regard. Albus sembla lire dans le sien toute une autre peine. Une peine qu'il avait déjà vu. Dans les yeux de son frère. Dans les yeux de Thésée. Il ne pouvait pas comprendre. Il ne parvenait pas à comprendre ce qui démangeait la jeune femme face à lui.

  — Tu es si forte, murmura-t-il. Et tu souffres, mais tu ne veux pas le montrer.

  — Tout le monde souffre, professeur. Personne n'a une vie parfaite. On doit tous faire face à des épreuves douloureuses. Je ne vois pas pourquoi je devrais me plaindre.

  — Tu n'es pas la sœur d'Aysha pour rien. Mais je crois qu'elle a fini par comprendre que sa peine était légitime.

  — Ça n'a rien à voir avec une quelconque question de légitimité.

  — Alors que diable t'est-il arrivé pour que je vois dans tes yeux ce qui a pendant si longtemps masqué ceux de mon frère et ceux de Thésée ?!

  Les sourcils d'Helena se froncèrent.

  — Tout le monde a des secrets, reprit-elle. Vous êtes bien placé pour le savoir. Vous et votre sœur dont personne ne savait l'existence. Vous et votre frère caché à Pré-au-Lard. Vous et votre fille que nous connaissions sans savoir quel était son lien avec vous. Vous et votre fils décédé sans qu'on ait pu le connaître. Vous et tous vos secrets. Vous ne pouvez pas me demander de dévoiler les miens alors que vous nous cachez tant de choses.

  — C'est vrai, admit Dumbledore.

  Il y eut un silence. Ils se regardèrent. Helena ne savait pas si elle était en colère ou si triste qu'elle ne pouvait plus rien contrôler. Ou peut-être les deux ?

  — Ma sœur est morte quand j'avais dix-huit ans. J'étais avec Grindelwald. Nous voulions partir. Mettre nos plans à exécution. Mon frère est arrivé. Il ne voulait pas nous laisser faire. Gellert a dégainé sa baguette. Mon frère aussi. Moi aussi. Nous nous sommes battus. Nous n'avons pas entendu Ariana descendre l'escalier. Je ne sais pas...

  Sa voix se brisa. Il dut avaler sa salive avant de reprendre :

  — Je ne sais pas si c'est mon sort qui l'a... qui l'a tuée...

  Helena regardait son ancien professeur, surprise qu'il lui ait ainsi partagé quelque chose d'aussi douloureux pour lui. Quelque chose qu'il semblait ne pas vouloir partager. La jeune femme le fixait, scrutant chaque trait de son visage. La peine, la culpabilité, la douleur pouvaient s'y lire. Elle ne connaissait que trop bien cela.

  Lorsque Dumbledore leva les yeux vers elle, elle détourna son regard.

  — Je ne me pardonnerai jamais. Abelforth ne me pardonnera jamais.

  Helena continuait de garder la tête baissée vers le sol, mais elle finit par murmurer :

  — Aysha a raison, n'est-ce pas ? Vous aimez toujours Grindelwald ?

  La réponse ne vint pas tout de suite. Mais elle vint tout de même :

  — Oui.

  Un silence s'installa. Aucun d'eux ne semblait vouloir continuer. Pas sur ce sujet du moins. Alors, le professeur s'approcha de la jeune femme et lui attrapa le poignet, murmurant :

  — Nous avons tous quelque chose enfoui au fond de nous qui nous brise, mais que nous ne pouvons pas partager. Car ce serait comme si... tout devenait réel.

  Une larme roula sur la joue de la jeune femme, tandis que ses pensées se tournaient vers cet homme sur la photo dont elle ne se séparait jamais. Liam Turner. Un homme qui avait fait battre son cœur.

  — J'avais vingt-et-un ans quand j'ai rencontré Liam Turner. Il vendait des chaudrons sur le Chemin de Traverse.

  Un sourire triste étira les lèvres de la jeune femme.

  — Nous nous sommes aimés pendant des années. Nous nous sommes même fiancés. Et, un jour...

  Son sourire s'effaça.

  — Il a disparu. Ne me laissant qu'une lettre pour rompre nos fiançailles et mettre fin à notre relation. Je ne pouvais pas y croire. Je n'arrivais pas à croire qu'il m'avait laissée et abandonnée sans explication et surtout, de cette manière. Et... quelques jours plus tard, j'ai appris qu'il était mort. Tué par le sortilège de mort. Tué par l'un des partisans de Grindelwald. Et quelques jours plus tard, Aysha sortait de Ste Mangouste.

  Le professeur n'arrivait pas à croire ce qu'il entendait. Helena leva la tête vers lui et il put voir que ses joues étaient humides.

  — Je n'avais jamais aimé un homme autant que je l'ai aimé lui. Jamais je ne pourrais arrêter de l'aimer. Et il n'est plus là. Je voudrais tellement qu'il me sert dans ses bras. Je voudrais qu'il joue avec mes cheveux. Qu'il me les tresse comme il aimait si bien le faire. Je voudrais entendre son rire. Sentir son odeur. Aysha n'a jamais été mise au courant de son existence. Mais, lui, la connaissait. Il disait qu'elle n'avait rien de mauvais en elle. Qu'elle était juste brisée. Et je l'ai aimé encore plus. Je l'ai aimé de tout mon être et de toute mon âme.

  Albus posa une main sur la joue de l'Auror. Elle laissa une larme s'échapper. Jamais le professeur n'aurait pensé qu'elle ait pu vivre une telle chose.

  — Liam Turner... marmonna l'homme.

  Il se souvenait de lui. Il l'avait eu comme élève. Il avait été à Serdaigle. Il se souvenait que c'était un homme à l'esprit très créatif et qui débordait d'une trop grande sagesse pour son âge. Il se souvenait aussi qu'il était intelligent. Très intelligent. Trop pour que cela soit sans risque. Il savait qu'on pouvait vouloir de son intelligence à de mauvaises fins. C'était pourquoi il vendait des chaudrons. Dumbledore savait que s'il avait été tué par un partisan de Grindelwald, ce n'était pas un hasard. Il savait que cet homme avait dû résister pour qu'ils finissent par s'en débarrasser. Il savait que Gellert avait dû penser avoir besoin de lui. Pas suffisamment pour le garder en vie quoi qu'il en soit. Liam Turner avait quitté Helena pour ne pas la mettre en danger.

  Ce ne fut que lorsqu'il revint à la réalité qu'il remarqua que la jeune femme le fixait toujours. Elle semblait lui avoir posé une question et attendait sa réponse, mais il ignorait ce qu'il devait dire. Elle sembla le comprendre, alors, elle répéta :

  — Croyez-vous Aysha en ce qui concerne April ?

  Le professeur cligna des yeux, surpris par une telle question.

  — Je... hésita-t-il. Pourquoi cette question ?

  — Parce que... je... balbutia-t-il. Vous voyez... je... Depuis qu'elle nous le répète, j'ai commencé à douter. J'ai commencé à y croire. Je pense qu'elle a raison. Qu'elle peut avoir raison.

  — Alors pourquoi lui répéter l'inverse ?

  — Parce que c'était effrayant d'y croire. J'avais si peur que nous nous trompions. J'avais si peur que notre erreur pourrait détruire totalement ce qui restait de bon en ma sœur.

  — Tu l'as laissée te détester en tentant de l'aider.

  — Mais je suis incapable de l'aider.

  — Tu te trompes.

  — Ah oui ? railla-t-elle. Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

  — Elle t'a dit que tu lui avais sauvé la vie.

  Helena fronça les sourcils. Le professeur n'était pas présent lorsqu'elle le lui avait révélé.

  — Vous êtes... comprit la jeune femme.

  — Oui. Je suis un Legilimens.

  — Alors vous savez qu'elle se trompait.

  — Non, rétorqua-t-il. Tu lui as réellement sauvé la vie. Et ce n'est pas ce que tu sembles croire parce que tu penses que tu as fait tout l'inverse. Mais c'est la vérité Helena. Tu es l'unique personne qui l'a maintenue en vie. Tu lui as permis d'avoir quelque chose - quelqu'un à qui s'accrocher. Sans toi, elle ne serait plus parmi nous. Sans toi, je ne l'aurais jamais rencontrée. Sans toi, elle serait morte. Tu lui as donné les moyens de faire face à toutes les horreurs qui se sont levées sur son chemin. Et peu importe si tu le crois un non, c'est la vérité.

  Helena recula d'un pas, rompant le contact entre elle et le sorcier. Elle sentit son cœur devenir aussi lourd qu'une pierre.

  — Aysha est forte, reprit le professeur. Mais il a bien fallu que quelqu'un lui donne cette force. Que quelqu'un lui donne quelque chose pour quoi se battre. C'est ce que tu as fait Helena.

  La jeune femme baissa la tête.

  — Tu lui as sauvé la vie. Et c'est ce que nous allons faire encore.

  Elle leva les yeux vers le professeur, surprise.

  — Il faut qu'on aille la chercher. Pas parce qu'elle ne peut pas se débrouiller seule. Mais parce que je sais qui est Grindelwald. Et je sais ce qu'il est capable de faire. Et je sais qu'Aysha est forte. Mais elle ne l'est pas suffisamment contre elle-même.

  Il marqua une pause. Elle l'écoutait.

  — Elle n'est pas assez forte pour se battre contre elle-même.

Louise Garénaux - Auteure passionnée
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